Nys Philippe. 2016. « La sphère et la gourde. Teshima/Fukushima », in Barbanti R., Verner L. (dir.) Les limites du vivant. A la lisière de l’art, de la philosophie et des sciences, Bellevaux : Editions Dehors. pp. 181-201.
La sphère & la gourde. Teshima/Fukushima - Kairos 1
Un mot tout d’abord sur les choix de cet essai - terme que je préfère à article dans la mesure où il s’agit d’une tentative pour assembler ce qui peut paraître « in-assemblable » ou difficilement assemblable - et sur ce que l’on peut appeler sa stratégie discursive, l’un de ses enjeux étant d’assembler, entre autres, expérience in situ, ordre du discours, ordre des images. Assembler - c’est-à-dire conjoindre et disjoindre - des questions de spatialités, tant physiques que conceptuelles ainsi que des temporalités, ce qu’indique le terme de kairos, occasion - instant favorable mais aussi coup fatal - saisie en vue d’une décision et, sinon d’une action, du moins d’un mouvement. Peu usité dans l’histoire de la philosophie occidentale, il est « pointé » de manière fondamentale par Cornélius Castoriadis dans le sens d’un temps créateur, absolument irréductible à la mesure et au calcul . Il désigne aussi, lorsque l’accent est mis sur le iota, l’espace, ou plutôt la brèche, la fissure, le défaut d’assemblage par où une flèche - éventuellement mortelle (mais pour qui ? pour l’ennemi que je ne suis pas ? ou pour soi-même, visé comme ennemi ? ou pour l’autre, que je vise comme ennemi ?) - pourra pénétrer l’armure, les dispositifs de protection, de sécurité pour reprendre des termes endémiques et maladifs contemporains.
Kairos est donc un espace et un temps entre différents éléments, un « entre » critique, lieu décisif qui, s’il appelle une certaine rapidité et vitesse d’exécution mais aussi retard, voire « arrêt », comme on le verra, requiert prudence et euboulia, l’exercice, individuel et collectif, d’une rationalité pratique, seule possible et « soutenable » dans le seul monde réellement habitable qu’est le monde sublunaire, corruptible et incertain d’un point de vue matériel mais visé, sinon comme éternel dans le ciel des Idées, du moins comme possibilité d’un sens. Une certaine « stratégie » s’est donc mise en mise en place au fur et à mesure des lectures qui ont accompagné l’écriture, avec ses idées, hypothèses, rapprochements risqués, voire peut-être fantaisistes, imprudents – voire même stéréotypés aussi pour ce qui concerne le Japon -, aux yeux des spécialistes des champs théoriques ici mobilisés ou requis : philosophie et pensée japonaises de l’espace et des lieux, anthropologie philosophique comme antidote à certains « poisons » d’une philosophie de l’histoire et de politiques « catastrophiques », projets d’art et d’architecture contemporains - en « premiers lieux » - où la question, complexe, de « l’atmos-sphère » (avec tiret) est devenue ou plutôt redevenue centrale, toute la question étant que atmos n’est pas « réductible » à l’ordre, l’ordonnancement ou l’horizon d’une pensée sphérique, qu’elle soit cosmologique, cosmo-théologique, cosmopolitique ou individuelle.